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Communauté scolaire et « vivre ensemble » à Marseille

Intervention en milieu scolaire (lycéen) en collaboration avec des professeurs du secondaire, pour une meilleure connaissance de soi et des autres. Projet pédagogique à partir d’une recherche sur les « berceaux familiaux », les lieux d’origine et le lieu d’enracinement, Marseille.

Équipe
 Isabelle Merle (historienne, chargée de recherche au CNRS),
et des enseignants du Lycée Victor Hugo (Marseille, 3e arr.) :
 Nathalie Silhol (professeur de physique et chimie)
 Anne-Marie Timtchenko (professeur de français)
 Guillaume Papoin (professeur d’histoire)
avec le soutien de Madame Guerrel, proviseur du Lycée.
Objectifs

Ce projet pédagogique est expérimental et s’adresse actuellement à une classe de seconde générale du Lycée Victor Hugo (3ème arrondissement de Marseille) dans laquelle plus de 90% des élèves sont issus d’une immigration ancienne ou récente. Ce projet vise d’abord à répondre, par une collaboration interdisciplinaire entre des professeurs du secondaire et une chercheuse au CNRS, à la nécessité d’inciter les élèves à mieux se connaître, mieux partager et mieux se situer dans leur histoire, l’histoire de leur pays d’origine et l’histoire de leur pays d’accueil ou de naissance ainsi que dans leur contexte de vie quotidienne. L’enjeu est de les aider à « se raconter », à partager « la parole » avec les membres de leurs familles mais aussi avec leurs camarades de classe et leur enseignants et intervenants. L’enjeu est aussi de privilégier une démarche de connaissance en documentant précisément les lieux et contextes historiques, qu’il s’agisse des « berceaux familiaux », de l’histoire de l’immigration, du développement industriels de Marseille, de l’histoire de l’urbanisme et des quartiers, des conditions d’accueil des populations migrantes passées ou récentes, de l’histoire de la « fabrique française » et du « pacte républicain ».
Ce projet est le fruit d’une collaboration entre des enseignantes et une chercheuse. Il est pleinement soutenu par le chef d’établissement et entre dans les nouvelles perspectives pédagogiques interdisciplinaires défendues par l’éducation nationale. Il entre aussi pleinement dans les expériences de « community service » que le CNRS défend sous forme d’interventions de l’institution dans la cité. Il permet à l’historienne que je suis, de mettre au service d’un projet pédagogique, une recherche créative d’enseignement de l’histoire sur la base des expériences personnelles des élèves et de leurs trajectoires familiales en les articulant à une histoire plus générale de l’immigration et de l’histoire française, ce qui engage nécessairement un effort de réflexion quant aux conditions de la construction et de la transmission du récit historique.. Ce projet, enfin, est une première étape d’une recherche en cours d’élaboration à partir de la parole des élèves et de leur rapport au passé et à ce qu’on appelle communément « l’intégration ».

Contexte d’élaboration et motivations

Spécialiste de l’histoire de la colonisation européenne au XIXe et XXe siècle et plus spécifiquement engagée sur les terrains de la zone Pacifique et en particulier la Nouvelle-Calédonie, j’ai été détachée entre 2011 et 2014, à l’université de la Nouvelle- Calédonie, pour enseigner l’histoire du Pacifique, celle de la Nouvelle-Calédonie et celle de la colonisation en général auprès d’étudiants de L1, L2, L3. J’ai pu ainsi expérimenter les enjeux et les difficultés de l’enseignement de l’histoire, en contexte, lorsque celui-ci évoquant l’expérience historique d’un pays anciennement colonisé tel que la Nouvelle- Calédonie et encore aujourd’hui sous souveraineté française, s’adresse à des étudiants Kanaks, Calédoniens ou autres, directement issus de cette histoire singulière. Ce contexte particulier d’enseignement m’a amené à réfléchir précisément sur l’élaboration du récit historique et les conditions de sa transmission ainsi que sur des expériences pédagogiques innovantes : recherches des étudiants sur l’histoire de leur famille ou encore visites et enquêtes de terrain. A l’occasion de cette expérience, j’ai pris la mesure de ce qu’on appelle en Nouvelle-Calédonie « le destin commun » et en particulier toute l’importance du « récit historique et généalogique » dans un projet pédagogique visant à aider les jeunes à mieux appréhender et comprendre leur propre itinéraire familial et celui de leurs camarades au regard d’un passé colonial complexe qui a profondément marqué les uns et les autres et dont la connaissance engage les conditions d’un avenir commun et d’un « vivre ensemble » apaisé.
A mon retour à Marseille, dès décembre 2014, avant même les attentats de Charlie Hebdo, j’ai rapidement pris conscience d’une certaine similitude de problématique dans des discussions partagées avec des professeurs du secondaire travaillant dans des collèges et lycées implantés en milieux populaires à Marseille, dont l’essentiel des élèves est issu de l’immigration ancienne ou récente. Tous témoignaient des difficultés liées aux préjugés, au mal être identitaire, à la mésestime de soi et à l’ignorance de leur propre histoire familiale et de celle de l’immigration en France. Partant d’un point positif, à savoir un sentiment fortement ancré et collectivement affirmé de « se sentir marseillais » avant toute autre identité affichée, les enseignants appelaient de leurs voeux, un projet pédagogique visant à accompagner les élèves sur le chemin d’une connaissance de soi, de sa famille, de ses lieux d’origine, des conditions de la venue en France, des conditions d’accueil et des devenirs à Marseille même. Il s’agissait pour les élèves de « mieux se connaître » et d’inscrire leurs expériences familiales dans une histoire plus générale de l’immigration française et de la fabrique de la nation française depuis le XIXe siècle. Il s’agissait aussi de « mettre en partage » dans le groupe classe ces expériences singulières tissant les fils d’un collectif reflétant autant la diversité des provenances que la commune réalité d’un enracinement et d’un devenir français et marseillais.
En insistant sur les parcours familiaux et migratoires ainsi que sur les logiques d’enracinement et les sentiments d’appartenance aux lieux de résidence, en l’occurrence à Marseille, en insistant aussi sur l’importance de la connaissance et l’objectivation des histoires personnelles inscrites dans la complexité de contextes historiques plus généraux, nous voulions éviter un questionnement frontal sur « l’identité », la « communauté », la « religion » afin de ne pas enfermer les élèves dans des assignations a priori. Partir de l’expérience personnelle permet de travailler une histoire située et d’y intégrer des questions générales qui seront ainsi mieux acceptées.

Une première expérience a été tentée, en mai et juin 2015, au collège Jean Moulin (dans le 15e arrondissement marseillais) auprès d’une classe de 4e en collaboration avec une professeure d’Italien, elle-même issue de l’immigration kabyle dans les années 1960 et le soutien proviseur du collège Elle a été renouvelée au lycée Victor Hugo (3e arrondissement marseillais) en collaboration avec Nathalie Slhol professeur de physique et chimie, et Anne Marie Timtchenko, professeur de français, auprès d’une classe de Seconde à partir de novembre 2015. Une convention signée par Madame la Proviseur et jointe à ce dossier confirme l’intérêt que l’établissement porte au projet.

Un projet pédagogique interdisciplinaire

Mieux se connaitre, mieux se comprendre : Récits de trajectoires familiales et enjeux d’enracinement marseillais.

Le recueil des « souvenirs familiaux » et la construction d’un corpus de connaissance sur les « lieux d’origine et les berceaux familiaux ». Travail effectué au 1er trimestre de l’année scolaire 2015-2016.
Les séances qui ont été menées jusqu’à présent ont amené les élèves à travailler sur l’histoire de leur famille avec les objectifs suivants :
 Construire un arbre généalogique remontant aux grands parents, précisant les lieux et dates de naissance.
 Documenter le plus précisément possible à l’aide de cartes récentes ou anciennes et de documents photographiques d’époque, les « berceaux familiaux » et lieux d’origine. L’enjeu consiste à préciser les connaissances sur les lieux d’implantations familiales mais aussi le contexte de vie de la génération des grands parents ou parents – les paysages, les villages ou les villes, l’histoire de la région - . A l’appui de ce travail, j’interviens, en tant qu’historienne, pour préciser les contextes historiques plus généraux des pays concernés.
 Documenter aussi, les motivations poussant à l’émigration de la famille des élèves. Pourquoi quitte-t-on son pays ? Quels peuvent être les éléments déclencheurs d’une telle décision ? Il s’agit pour les élèves de mener auprès de leurs parents ou grand parents des entretiens qui évoquent les conditions de vie dans le pays d’origine, les raisons du départ, les choix d’émigration et les conditions du voyage.
 A l’appui de ce travail, j’interviens en tant qu’historienne pour rappeler les grandes vagues migratoires que la France connu depuis le XIXe siècle et les contextes dans lesquelles elles ont eu lieu.
A partir de ce corpus, la construction de récits fictionnels ou réalistes. Travail effectué au 2e trimestre de l’année scolaire 2015-2016 En collaboration avec le professeur de français, le travail effectué par les élèves consistera à rédiger des « nouvelles », fictionnelles ou réalistes suivant le choix des élèves, à partir des connaissances accumulées. Cette construction de récits vise travailler l’écriture et la forme rédactionnelle et servira aussi de support pour une « parole partagée ». Se raconter, connaître et partager les expériences familiales pour mieux comprendre l’histoire de chacun et du groupe classe, le tout replacé dans un récit historique contextualisé permettant aux élèves de mieux se situer dans l’histoire des migrations vers l’Europe et la France au XIXe et XXe siècle.
« Ma ville, Marseille, ses quartiers, ses métiers et ses sites industriels » Une association trandisciplinaire entre histoire, français et physique-chimie.

Année scolaire 2015-2016.
L’enjeu de ce projet est aussi de faire réfléchir les élèves sur leur ville, Marseille, les quartiers où les grand parents ou parents se sont installés et les métiers qu’ils ont pratiqué. Mais il s’agit aussi revenir sur l’histoire industrielle de Marseille. L’originalité de notre collaboration entre historienne, professeur de français et professeur de physique et chimie, consiste en effet, à s’appuyer sur l’histoire industrielle marseillaise pour « incarner » l’apport de connaissances en construisant le programme de physique et chimie de seconde sur la base d’exemples concrets d’industries anciennes ou récentes qui se sont développées à Marseille et qui ont absorbé une grande part de la main d’oeuvre issue de l’immigration : les savonneries, l’huilerie, les industries de la soude, les verreries, les raffineries de plomb et enfin le travail sur les docks.
Chaque partie du programme de sciences physiques sera l’occasion de confronter les connaissances acquises avec les métiers que l’on pouvait trouver dans ces usines. A l’appui de cet enseignement, seront organisées des visites de sites industriels au cours du second et troisième trimestre de l’année scolaire 2015-2016.

Soutiens

Ce projet a bénéficié d’un financement du CNRS en 2016.

Le site internet est hébergé par Huma-Num, très grande infrastructure de recherche dédiée aux humanités numériques.

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